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La philosophie moderne est née dans le terreau de la Scolastique dont elle fut le prolongement et la trahison. Pour expliquer que la philosophie moderne ait nié ce dont elle se nourrissait, on peut convoquer diverses explications unilatérales ou bien il n'y aurait eu de trahison qu'apparente et la philosophie moderne serait ce dans quoi la Scolastique aurait vocation à reconnaître sa vérité immanente; ou bien il n'y eut de conservation que de surface et la philosophie moderne, révolutionnaire dans son principe, serait étrangère à la Scolastique qu'elle aurait supplantée.Il est plus rationnel d'accepter l'idée selon laquelle la Scolastique fut tourmentée par des tensions internes qu'elle ne parvint pas à dépasser dans son propre élément, de telle sorte que la philosophie moderne, en se retournant contre ce dont elle procédait, ne fit qu'accomplir le destin de la Scolastique déjà en partie insurgée contre elle-même. Ainsi en est-il du thomisme lui-même développé tantôt dans la ligne d'un réalisme de l'acte d'être, tantôt dans celle ─ rationaliste et essentialiste ─ d'un réalisme de l'essence en acte. Ce qui est ici proposé, c'est d'abord la mise en évidence au moins de certaines des tensions intérieures au thomisme. C'est ensuite, par l'intromission d'un concept qui n'est pas thomiste mais fruit de la philosophie moderne en son acmé rationaliste, l'exposé d'une tentative de conciliation rationnelle des deux grands courants directeurs déployés dans et par l'Ecole thomiste. Parce que la philosophie moderne est fille infidèle de la Scolastique, contribuer à faire se réconcilier le thomisme avec lui-même est peut-être aussi contribuer à révéler le thomisme ainsi repensé telle la vérité de la philosophie moderne elle-même, son avenir et son accomplissement.
L'Occident se meurt, comme résigné. Il est possible, à ce manque d'instinct de conservation, de trouver diverses raisons plus ou moins convaincantes. Identifier la cause véritable d'un tel collapsus est pourtant la condition sine qua non du réveil de notre désir de vivre, c'est-à-dire de combattre.Déconnecté de toute référence à un Absolu transcendant ayant raison de fin ultime, l'instinct vital des individus et des peuples, leur appétit de victoire, réduits au volontarisme du nihilisme héroïque, dégénèrent en romantisme puis en plat consumérisme, en ce subjectivisme contre lequel ils s'insurgent pourtant parce qu'ils y discernent, précisément, la raison de leur propre décadence.Dissocié du désir d'habiter son monde en y luttant pour coopérer à la pérennité de son ordre immanent, le désir de Dieu se résout, vis-à-vis du monde, en cette indifférence passive qui laisse le champ libre aux fossoyeurs de l'ordre.Le monde moderne est, comme l'enseigne Bernanos, une conjuration contre toute espèce de vie intérieure ; l'intériorité jouit du mérite et requiert comme condition de sa vie propre de nous arracher au monde du divertissement, à cet extérieur mortel et mortifère qui nous dissipe. Et la vie propre de l'intériorité, qui justifie que l'on s'y complaise, nous tourne vers le Transcendant. Mais tout autant l'intérieur dit l'être en puissance, l'indéterminé, l'état de fermentation de ce qui ne s'actualise, ne se découvre qu'en s'extériorisant. Qu'en est-il donc de cet intérieur destiné à n'accéder à la conscience de lui-même qu'à condition de se pencher sur - et même de se dévouer à - ce dont il est pourtant invité à se détourner ? Comment, sous le double rapport de l'Objet désiré et du sujet désirant, concilier immanence et transcendance ?
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